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Boston. Vous avez dit : « monstres » ?

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Un article intitulé « On a les monstres qu’on trouve« , publié hier dans la rubrique Actualités des 7 du Québec, prétendait répondre à ceux qui s’étonnent de la banalité apparente des auteurs de la tuerie du marathon de Boston. NON, tout ce qui est monstrueux n’est pas le fait de gens qui ont le profil des monstres qu’on imagine… Cela m’a rappelé un texte que je publiais, il y a quelques années, où je parlais de la genèse des monstres. Je reproduis ici ce texte, sans rien y changer…

Dessine-moi un monstre

J’ai bien voyagé en pays musulman. Depuis longtemps. Tunisie, Algérie en 1956. Ghardimaou, à la frontière où les forces françaises m’ont retenu – poliment, je le souligne – le temps de s’assurer que je n’étais pas ce journaliste canadien, dont on les avait prévenus de la venue et qui viendrait voir de près ces histoires d’atrocités. Ce n’était pas moi…. . Beyrouth, en 1958, avec les Américains — déjà ! — sans qu’on sache trop ce qu’ils y faisaient. Au cours des ans, Damas, Bagdad, Téhéran, Karachi, Kandahar… L’Égypte, le Maroc et j’en passe Je me suis beaucoup déplacé. J’ai connu des pays musulmans « AVANT » .

Avant quoi ? Avant la guerre de 6 jours, avant le premier choc pétrolier de 1973. A l’époque où, si on parlait de terrorisme et de bombes à Jérusalem, ce n’était pas d’eux qu’on se souvenait. Des femmes voilées, à Téhéran ? Vous voulez rire ! Ce qui s’en rapprochait le plus, c’était de merveilleuses créatures juchées sur 10 centimètres de talons, laissant au passage des effluves de Chanel No 5 et arborant une voilette transparente. A Beyrouth, encore moins, sauf au Casino du Liban, ou au Saint-Georges, dans les spectacles, bien sûr. Même au Caire, on n’en voyait qu’en périphérie, ou dans les quasi-souks, là où on allait pour le pittoresque, manger des  en marchant entre les crottes de dromadaires, dans des rues non pavées.

L’islamisme ? Dans les campagnes, oui. Je me souviens d’une scène extraordinaire, sublime, quand le train de Wadi Halfa à Khartoum s’est arrêté en plein désert nubien et que des centaines, et des centaines de croyants ont étalé leur tapis de prière sur le sable, pour la prière du soir, avec le soleil couchant derrière eux. Dans les campagnes, oui, mais dans les villes, à Istanbul ou à Casablanca, on ne voyait plus l’islamisme. Le marchand n’arrêtait pas de vous vendre un tapis, parce que le muezzin avait appelé ; il fermait la porte de l’échoppe et vous servait un autre thé, ou un autre café, selon le lieu. L’islamisme n’était pas en perdition, mais il s’estompait, comme le christianisme.

Attention. Je ne dis pas que les musulmans n’étaient plus fanatiques ; toutes les religions monothéistes le sont. Quand papa est à la fenêtre à vous encourager, on prend goût à taper sur les petits voisins qui sont différents… Je dis seulement que la violence, il y a 40 ans, n’était pas omniprésente en pays musulmans et que la violence, surtout, n’était pas essentiellement islamiste. On ne se battait pas à Alger en 1956 au nom d’Allah. On n’a pas pris le Canal de Suez pour l’islamiser, ce n’est pas vrai.

Les pays musulmans de l’époque, comme les autres pays du tiers-monde, étaient des pays pauvres en crise identitaire. Bien sûr, il y avait les Frères musulmans, mais ils jouaient un rôle secondaire. Marx était au moins aussi populaire que Mahomet dans les classes musulmanes éduquées et, si on avait fait une révolution, elle n’aurait rien eu de religieux. Le nationalisme était « à la Saddam », d’autant plus agressif qu’il était laïc. Les leaders voulaient bien chanter qu’Allah seul est grand, mais ils ne se voyaient pas eux-mêmes sans importance.

Comment l’islamisme, bien sage depuis des siècles, est-il redevenu militant ? Ne faudrait-il pas se demander plutôt, comment la militance et la violence qui en découlent sont redevenues islamiques ?

Quand le capitalisme s’est cherché un alibi, après la spectaculaire arnaque de 1973 sur le pétrole qui a causé bien des larmes, on a pris les cheiks et les émirs comme boucs émissaires. L’idée de mettre le blâme sur des bédouins — des types bizarres qui ont des harems et qui donnent des montres en or en pourboire au Dorchester — semblait opportune, même si ceux-ci ne gardaient qu’une petite part de la cagnote et que le reste retournait vite en Suisse et aux USA, dans les coffres des pétrolières et autres sociétés bien de chez-nous. On a donc crié haro sur la chèvre et brimé, insulté, humilié le monde arabe, « pétrolé » dans tous les sens du terme, sans perdre une occasion de rendre le monde arabe haïssable…

Quand les USA on voulu se défaire du Shah, devenu bien embêtant, l’idée de blâmer les turbans n’avait rien perdu de son intérêt. Mais comment soulever une population, ce qui est plus compliqués que de mouvoir quelques émirs ? Pour un mouvement de masse, rien de mieux qu’un réveil religieux. Rien de plus facile à promouvoir qu’une guerre de religion, puisqu’elle cible ceux qui y croient le plus — et donc les plus bêtes — lesquels sont toujours aussi ceux qui rêvent le plus d’une bonne bagarre.

On a donc ramené de Paris un personnage charismatique et on a financé la prise du pouvoir en Iran par un mouvement religieux. Une gageure d’apprenti sorcier, pour quiconque connaît l’Histoire ; mais pour les Américains, qui ne voient que confusément ce qui est loin des USA dans l’espace ou le temps, c’était une solution expéditive.

Après la prise des otages de l’Ambassade américaine à Téhéran, en 1979, on a compris un peu mieux les forces qu’on avait libérées, mais on en a surtout vu le côté « positif ». Le côté avantageux du fanatisme, c’est qu’il n’a vraiment pas besoin « d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».

C’est ce dont on avait besoin pour régler un problème sérieux avec les Russes qui avançaient vers le sud en Afghanistan, dernière manche de la « grande joute » qui les avaient opposés aux Britanniques en Asie centrale au siècle précédent. D’abord, contrer les Russes ; on règlerait après la question des gardiens de chèvres illuminés. Il fallait donc AIDER les Islamistes en Afghanistan contre l’URSS.

Pendant une décennie, l’Amérique a mis des milliards de dollars à armer, mais surtout à former des fanatiques. Elle a financé la convergence de toutes le rancoeurs et de toutes les frustrations vers l’Islamisme militant. Elle a utilisé comme agents des gens comme Osama Bin-Laden, pour battre le rappel vers la résistance aux Russes de tout ce que le monde comptait de fanatiques musulmans et en créer d’autres. Elle leur a appris à gagner. Un dur défi, mais elle y est arrivée. L’Amérique a réussi. Les Américains ont réussi à créer un monstre.

Un monstre inquiétant, car il grandissait… et grandissait ! Quand le Mur de Berlin est tombé, en 1989, les USA — qui ne peuvent vivre qu’en économie de conflit — n’ont donc pas cherché longtemps l’ennemi à haïr qu’il leur fallait ; dès 1991, ils ont envahi l’Irak pour « libérer » le Koweït, faisant cette guerre dont René Dumont a dit qu’elle avait déshonoré l’Occident. Ils ont diabolisé l’Islam, un adversaire qui ne pouvait en aucune façon menacer l’Amérique. Ils croyaient le dompter, mais ils ont seulement nourri le monstre.

Pourquoi l’islamisme se développait-il si vite ? Par défaut… Deux générations de nationalistes musulmans s’étaient imbues de marxisme. Maintenant, le communisme était vaincu. L’Islam, bien implanté et structuré depuis des siècles, était pour tous les Musulmans le plus évident des signes de ralliement. Quand sont revenus d’Afghanistan ceux qu’on avait entraînés à se battre, ils ont proclamé la renaissance de l’Islam conquérant. Pour être conquérant, d’abord être fanatique. Les voiles sont sortis des campagnes illettrées pour réapparaître dans les métropoles, au Caire, à Alger, à Téhéran, à Beyrouth. Erreur de penser que c’est l’islamisme militant qui a conduit à la violence ; c’est la violence qui ne demandait qu’à s’exprimer qui s’est voilée sous l’islamisme.

Quand est survenu 9/11, on a convaincu les Américains — soigneusement dépolitisés et abêtis depuis des décennies, pour en faire les protecteurs dociles d’un capitalisme pur et dur — que lancer une croisade sur les Infidèles était faire oeuvre pie. Pour lancer cette croisade, on a donné un nom au monstre : islamisme. Il fallait une cible, on a choisi Al-Qaeda, cellule insignifiante la veille, promue desormais multinationale du terrorisme. On lui a créé un chef, l’agent Bin-Laden ; un chef grand, rusé, fort, impitoyable, mythique… Insaisissable, surtout, car il faut qu’il dure : en créer un autre demanderait trop de travail.

Tout ce qui ne va pas dans le monde est donc devenu la faute d’Al-Qaeda. Même si ce sont les USA qui tuent en Afghanistan, en Irak, en Somalie, même si leur action n’a d’autres fin que de produire des milliards pour Halliburton et autres marchands de mort et de servir d’atout dans un jeu de pouvoir entre politiciens tarés, c’est la violence fanatique des musulmans qui est tenue pour responsable

Cette condamnation d’une RELIGION est l’une des erreurs de jugement les plus bêtes de l’histoire de l’humanité, pour deux (2) raisons. D’abord, parce que rien n’est si difficile à abattre qu’une religion et les USA, en pleine décadence, se sont choisi un ennemi trop coriace. Ensuite, parce qu’en disant ainsi que toute violence prenait sa source dans l’Islam, ils ont stoppé net l’acculturation tranquille du monde entier que l’Occident poursuivait depuis longtemps avec succès, à son rythme et sans effort.

Les civilisations ont parfois une chance d’établir une hégémonie librement acceptée, mais il est bien rare qu’elles en aient deux : la civilisation occidentale ne séduira plus. Maintenant, on nous déteste un peu plus tous les jours. Le monstre qu’on a créé a atteint sa taille adulte et il est à nous dévorer. A qui la faute ?

Pierre JC Allard

 


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